Tour à l'Envers de Gavarnie - 14 - 15 - 16 avril 2001


Fatigués, épuisés mais heureux !
Heureux d'avoir vécu, une grande, une belle "aventure" car c'est finalement un raid assez mouvementé que nous avons enduré durant ces trois jours des fêtes pascales.

Nous, c'était Nathalie, Hélène, Anne, Manu, Philippe, Laurent, Olivier,l'Homme au surf, Maurice, l'Homme aux skis, Jean Pierre, l'Homme au gros sac (très gros), Georges, Alain, Laurent
et moi-même.

13 donc, mais treize bien décidés à boucler ce tour de l'Envers de Gavarnie.

Envers de Gavarnie, quelque part cela doit évoquer l'Envers... des aiguilles de Chamonix, et, crevasses mises à part, le tour de l'Envers de Gavarnie vaut bien le tour de l'Envers de l'aiguille du plan mais ..... en beaucoup plus long.

Tout y est :  
- l'altitude : pendant près de 30 h , on ne redescends pas au dessous de 3000 m,

- l'engagement,(débutants s'abstenir !)

- les conditions météo : vent, froid et souvent du ciel bleu partout, à perte
d'horizon

- le panorama : ici le Taillon (3144m) et sa face Nord, là la pointe Bazillac (2976), la brèche de Roland (2807), ici la face nord du Casque (3006), de la Tour (3009), là-bas, le Marboré (3248), plus loin, le Cylindre (3325) puis au fond le Mont Perdu (3355) avec son sinistre couloir déversé, plus bas la
Niscle puis le canyon d'Arazas (ou Ordessa), au sud, la sierra de Guarra et les plaines du haut Aragon, au Nord, le Vignemale (3295) et tous les sommets des Pyrénées française, du Balaïtous à la Munia (3133), et au loin les vastes plaines de Tarbes et du Gers

- l'ambiance : des barres rocheuses, des vires escarpées, des murailles, des chutes de glaces, des couloirs abrupts et verglacés et même des séracs, oui, des glaciers avec des crevasses et des rimayes

Que devrions nous donc envier aux alpes !

Sûrement pas la météo !


Jeudi 12 avril : préparation et enjeux


Traditionnelle réunion de préparation au CAF de Toulouse.
Très vite des visages connus, d'autres moins, s'intéressent à ma proposition de mini raid en autonomie sur l'envers de Gavarnie.
Il s'agit d'une sortie de 3 jours, physique, technique avec au moins un bivouac sous neige à 3000 m et il va faire froid, très froid.
La météo, très clémente pour ces trois jours annonce l'iso zéro à 2000 voire 1300 la nuit ce qui nous donne mathématiquement du -10 à -12 à 3000 mais avec du vent à 60 à l'heure en rafale.

Matériel individuel obligatoire : crampons bien ajustés avec antibotte, baudrier, huit, deux mouskif, une longe ou une sangle, Tiblock ou Ropman ou bloqueur, pelle métallique sans parler du piolet, absolument indispensable, de l'arva, d'un bon duvet et du matelas gonflable de préférence.
Pour le Collectif : 80 m de corde (on en manquera), quatre réchauds à essence plus un réchaud à gaz de secours et au moins trois litres de carburant, un ou deux bâtons télescopiques de secours, des talkies walkies...

Excessive cette liste de matériel ? Peut être mais nous allons tout utiliser (sauf les bâtons de secours) et 300 m de cordes supplémentaires auraient été les bienvenues. Mais là on commence à rentrer dans le concept des expé lourdes avec équipement de face entière... et pourtant,le sommet à tout prix, c'est souvent des exigences de sécurité et donc .... de matériel considérable.
Tout cela a non seulement un prix mais surtout un poids !

Au menu, montée à la brèche de Roland à partir de Gavarnie avec éventuellement nuit au refuge de la brèche ou bivouac puis Taillon, Tour, Marboré et bivouac au pied du Mont Perdu à 3000. Le troisème jour Mont Perdu et si tout va bien, Cylindre puis retour par le col du Mont Perdu, sa face Nord, la brèche puis le couloir de Tuquerouye, remontée au col de Paillat et retour aux voitures par les Espugettes.

Anne et Manu hésitent à s'inscrire. Ayant en mémoire notre sortie aux Posets, je les pousse un peu. Elles ne seront ni les moins intrépides, ni les moins endurantes.
Georges et Maurice se proposent. Je ne les connais pas mais ils m'assurent avoir la "caisse".
Je leur fais confiance. Il en est de même pour Philippe que je ne connais pas du tout.

Sur ce point, nous, les encadrant prenons un réel risque. N'ayant aucune connaissance de leur niveau, il s'agit de bien prévenir ces "volontaires" des efforts à fournir et des difficultés qu'ils vont rencontrer, de s'assurer de leur niveau à ski, de leur capacité à cramponner, à "assurer"dans les passages délicats. En cas de doute, il faut les "démotiver" en douceur et courtoisement, ce qui n'est pas le plus facile.

Olivier souhaiterai faire le tour ... en surf.
Le parcours n'est pas du tout adapté à ce genre de pratique : beaucoup de traversées, des passages techniques en crampons, au moins deux couloirs raides et étroits. Cela ne l'inquiète pas. Il se sent en forme pour porter et il va… beaucoup, beaucoup porter.
Bien que soucieuse de la raideur de certaines pentes qui nécessite un bon voir très bon niveau à ski, (notamment le couloir de Tuquerouye), Nathalie reste très motivée. Laurent, Hélène et Alain que j'ai déjà vu évoluer à l'Arbizon s'inscrivent également.
Laurent, initiateur pourra m'aider au besoin.

Pour une fois, je limite les inscriptions à ...12, ce qui est déjà beaucoup.
Jean-Pierre se rajoutera à la liste. Je ne peux pas refuser ce treizième homme ; c'est un extraordinaire "mineur" et ses capacités à extraire des mètres cube de neige nous serons précieuses pour le bivouac.

Rendez-vous samedi 14 au parking du Conseil régional à 10 h.


Samedi 14 avril : vers la brèche au milieu des pâturages


Sur le parking, à Toulouse, nous réalisons un dernier point sur le matériel à emporter et les conditions nivo-météo.
Un français est mort de froid et d'épuisement la veille vers Tuquerouye et il paraît qu'en Espagne, le risque d'avalanche serait de niveau 4 au dessus de 2400.
J'en doute un peu. Le serveur de Météo France ne parlait que de risque de départ de plaque sur les versants sud et sud-est et, globalement, d'un risque 3 avec une tendance à la stabilisation du manteau.
Quand à la perturbation annoncée pour lundi, venant du Nord, j'espérais  qu'elle reste bloquée sur les reliefs français.

Arrivé à Gavarnie, c'est le choc. Le haut du cirque est plâtré et les cascades de glaces sont encore formées;
Ce spectacle de cirque est formidable.
Tout la-haut, sur les crêtes, on devine à l'œil nu d'énormes corniches qui pendent dans le vide au dessus du cirque.
Plus bas, les langues de neige s'effacent pour laisser place à des pâturages bien verts et là, sur le chemin d'accès poussiéreux, des colonies de touristes de toutes les nations s'acheminent lentement vers l'entrée du cirque.

Nous garons les voitures au bout du village à 1380 m et remplissons les sacs. Ils sont tous très lourds : 18, 20, 22 kg.



Petit détour chez les CRS pour leur expliquer notre périple. Ils nous avertissent qu'il fait très froid en altitude et que la neige est très dure.
De fait, sur ce secteur, le risque d'avalanche est limité.
Puis, nous échangeons quelques mots sur l'inconscience d'un groupe visible depuis le poste des CRS, qui se présente à 15 h à l'entré du couloir Swan. Ils devraient sortir du couloir peu avant la nuit
Deux heures après cette conversation, un ballet d'hélicoptère nous alertera.
Nous apprendrons plus tard qu'un espagnol avait dévissé dans le couloir.
Pressé par le temps, il aurait commis une imprudence et, avec une neige aussi dure, le moindre faux pas se paie "cash". Il décédera par la suite.

Pour rejoindre le refuge de la brèche à 2587 par la vallée de Pouey Aspé (ou vallon de la cabane du soldat), nous empruntons un vieux chemin, encore indiqué sur la carte mais bien mal entretenu.
Les branches des bouleaux s'accrochent à nos skis et les genévriers, quand ils ne masquent pas le chemin, griffes nos pantalons.
Il faut renoncer à suivre ce raccourci et prendre un chemin plus fréquenté donc mieux entretenu mais beaucoup plus long. 
Ce sera le premier contretemps. Il y en aura d'autres.

Sur le chemin, les conversations vont bon train. Le moral, comme la météo est au beau fixe et nous oublions quelques peu le poids de ces sacs, lourdement chargés de skis, cordes, duvets, ravitaillment, réchauds, baudriers, etc.

Inutile de préciser que les premières langues de neige seront les bienvenues. Nous chaussons donc vers 1800 m. La neige dure s'est un peu ramollie avec le soleil de cette fin d'après midi.
Le groupe marche d'un rythme soutenu, surtout les filles.

Plus nous montons, plus l'heure passe et plus la lumière devient rasante et se pare de couleurs orangées, renforcées par le traitement de nos lunettes.
L'ambiance devient féérique, magique. Les ombres s'allongent, les courbes s'arrondissent, des croupes se détachent, et la neige renvoie des reflets aux couleurs chair.
Tout cela est terriblement...féminin.

La majestueuse face nord du Taillon domine, intégralement recouverte de neige.

A l'approche du refuge, nous faisons une longue pause pour attendre Jean-Pierre. Il est exténué, fiévreux, malade, sans appétit. Il traîne une vielle crève depuis quelques jours.

Nous lui concoctons un bon petit remontant pour les 300 derniers mètres qui nous séparent encore du refuge : un cachet de Guronsan mélangé à un gramme d'aspirine. C'est radical. L'effet placebo aidant, voilà notre Jean-Pierre à nouveau en forme.

Nous arrivons au refuge à 20 h.

Le refuge est presque entièrement recouvert de neige et seules deux fenêtres de la salle à manger émergent encore. Il est presque vide. Seules cinq personnes déjà couchées s'y trouvent.

Au dortoir (20 à 25 places), il y a des couvertures et des matelas un peu humides en cette fin de saison hivernale. Heureusement, le gardien arrive le 28 avril pour aérer tout cela.

Aussitôt installé, nous nous employons à l'une des principales activités du raid et de l'expé : faire fondre la neige et faire chauffer l'eau.

Seul petit problème, il y a des traces d'urine tout autour de refuge et la nuit, à la lueur des frontales, difficile de choisir la bonne neige...
Alors par pitié, quand vous irez dans un refuge en hiver, choisissez un coin pour satisfaire vos besoins primaires et tenez vous y !!!!

Nous faisons donc bouillir l'eau et affectons un cachet d'hydroclonasone à chacune de nos gourdes.

Vers 22 h 30, nous allons enfin nous coucher. La nuit est superbe. Les étoiles n'ont jamais paru aussi proches et la brèche veille sur notre sommeil.

Demain sera une grande et belle journée.


Dimanche 15 avril : la grande traversée

Le réveil sonne vers 6 h 30 mais personne ne bondit hors de son lit.
Pourtant, dehors, l'aurore est superbe et le ciel immaculé.
Chacun sait que la prochaine nuit sera... incertaine et froide.

Nous devons en effet bivouaquer au pied du Mont Perdu, à l'étang glacé à 3000 M.

Quelques-uns se décident et on entend vite le ronronnement des réchauds à essence dans le réfectoire.

Peu à peu, l'ensemble du refuge retrouve une forte animation.

Jean-Pierre semble guéri de sa crève et chacun s'affaire.

Nous quittons le refuge vers 8 h, non sans avoir nettoyé tables et sol.

Au-dehors, une image surprenante nous saisi, nous étonne : la lune apparaît juste au centre de la brèche de Roland, se détachant sur un ciel encore bleu foncé, le tout encadré par des parois orangées et saupoudrées de neige, tout comme la lune.

Nous nous ébranlons et 3/4 heure plus tard, nous voilà à la brèche, siège d'un terrible courrant d'air.
Il faudrait qu'un jour, on se décide à installer une porte pour fermer cette ouverture qui refroidit toute la région !!

Nous nous arrêtons quelques mètres plus loin au soleil dans une infractuosité de la muraille pour éviter les glaçons et les congères de neige qui se décrochent de temps en temps de la paroi.
Nous laissons une partie de notre matériel et filons vers le Taillon.

Passé la pointe Bazillac, nous prenons pieds (ou ski) sur l'arête. Un vent violent nous saisit.

Je préfère traverser toute la pente Sud du Taillon pour me mettre à l'abri du vent. C'est un peu plus long mais le confort est plus grand aussi.
Quelques-uns me suivent mais les autres préfèrent poursuivre l'arête dans la tourmente directement vers le sommet.

A l'abri du vent, je progresse vite et arrive au sommet où le vent est très violent, intenable. Nous nous réfugions quelques mètres en contrebas pour enlever les peaux et contempler le paysage.

Sur notre gauche, nous traçons la suite de notre itinéraire : le retour à la brèche, le "pas des Isards", la remonté du couloir de La Tour puis la longue crête qui nous mènera au Marboré puis au Cylindre et enfin au pied du Mont Perdu.

Par radio, Laurent m'avertit qu'Alain vient de perdre un couteau et que par ailleurs, dans la tourmente, il n'est pas au mieux.
Alain va donc redescendre avec Olivier, qui a laissé son surf à la Brèche.

Nous entamons une courte descente dans de la neige soufflée suivi d'une très longue traversée qui nous mène à la brèche sans trop pousser sur les bâtons.

Maurice, Alain et Olivier manque encore à l'appel.
En quelques minutes, une foule d'incidents techniques vont nous tomber dessus : outre Alain qui a laisser filer un couteau dans la pente, Georges à également perdu le sien au sommet et Nathalie en a cassé un.
Maurice qui arrive enfin à pied, les skis sur le dos (déjà) nous annonce, dépité, qu'il vient de casser une fixation (l'étrier des Silvretta SL)
Nous tentons une réparation de fortune avec de l'Elastoplast. Elle ne tiendra pas car c'est une pièce qui est soumise à de fortes contraintes.

Alain arrive enfin. Il est épuisé et quelque peu démoralisé. Il ne se sent pas de continuer surtout avec un couteau en moins.
Maurice hésite : redescendre avec Alain ou poursuivre le raid en portant les skis tout du long. L'effort sera considérable. Il envisage même de se débarrasser de ses skis et continuer à pied mais ça ne serai pas écologiquement correct.
On ne va pas transformer la brèche en dépotoir d'altitude comme au col sud de l'Everest

Finalement, se sentant en bonne forme physique, il reste avec nous alors qu'Alain va se raccrocher à un groupe de français qui rentre à Gavarnie.

Nous ne sommes plus que 12.

Nous passons sous la brèche, traversons sans encombres le "pas des Isards" qui est pourtant bien escarpé en été mais relativement débonnaire en hiver.
Nous longeons le pied du Casque que nous laissons en raison de l'horaire déjà tardif et nous arpentons l'étroit couloir de La Tour, qui en cas de chute de neige peut être une redoutable pente avalancheuse;
Aujourd'hui, le manteau est stable.
Certain gardent les skis, d'autres, préfèrent les porter et monter droit dans la pente.
Au sommet de la Tour, je devine deux ou trois points sur le couloir du Mont Perdu. Quelques minutes plus tard, j'essaye à nouveau de les retrouver dans le couloir pour les montrer au groupe mais il n'y a déjà plus personne.
Etrange...

Au-dessous de nous, d'énormes corniches, celles de nous avions vu depuis Gavarnie pendent dans le vide.
Certaines font peut être 10 m d'épaisseur et lorsqu'elles vont tomber, vu la masse de neige, cela va faire une belle avalanche; Gare à ceux qui seront dessous même s'ils sont loin de la paroi.
Pour l'instant, c'est l'occasion de faire de superbes photos.


Sans enlever nos peaux, après une longue pause, nous poursuivons vers le col et les pics de la Cascade. En chemin, nous entendons un hélicoptère. Il semble déposer quelqu'un un peu en dessous du Mont perdu. Un quart d'heure plus tard, rebelote. C'est étrange, il n'y a pas de dépose de skieurs en hélico dans les parcs nationaux en Espagne.

Nous poursuivons notre route en essayant de trouver des "glou-glou", ces minces filets d'eau qui s'écoulent sur les parois lorsque la neige fond sous l'action du soleil de 15 h. Nous commençons en effet à manquer sérieusement d'eau.

Nous faisons à nouveau une longue pause au pied du Cylindre et, vu l'heure et la perspective de devoir creuser une grotte de neige pour passer la nuit, nous décidons de ne pas monter au Marboré (1 h à 1h 30 aller retour).
Georges arrive enfin. Il est fatigué, manque d'eau et est au bord de l'hypoglycémie.
Après quelques barres de céréales, nous continuons vers le Mont Perdu en contournant le Cylindre par une large vire. Nous nous laissons ensuite glisser vers l'Etang glacé. Il est 17 h 15.

Il s'agit désormais de trouver la congère idéale pour creuser notre abri selon une technique que m'ont appris les russes lors de l'expé au Khan Tengri (Tien shan) en 91 : une grotte de neige , une sorte de datcha russe dont la  taille n'est limité que par l'ardeur de ses mineurs et l'épaisseur de la congère.

L'idée de base est simple mais terriblement efficace.
1 - trouver une congère, la plus raide possible.

2 – celle-ci doit avoir au moins 2,5 m de profondeur sur 2,5 m de haut

3 - la neige ne doit pas être trop dure (mieux vaut éviter la glace ou les neiges « béton ») pour pouvoir être creusée sans trop de difficultés.
Tout cela s'apprécie parfaitement avec une sonde.

4 - il faut prévoir une entrée pour 4 personne. Chaque entrée étant située à la même hauteur et distante de 3 m environ

5- On commence à faire un étroit couloir de 1 m de large maximum sur 2,5 m de profondeur et 1,5 m de haut.
Pendant que le premier mineur attaque la neige, le second déblaye les blocs derrière lui, le troisième reprend des forces (surtout à 3000) et on tourne. C'est la partie la plus physique, la plus ingrate.

6 - Après avoir creusé ce couloir de 2,5 m à 3 m de profondeur légèrement ascendant, on attaque la voûte de façon à pouvoir se tenir debout.
Puis on attaque, de chaque côté du couloir les bas-flanc à 60 ou 80 cm du haut de la base.
A partir de ce moment là, deux mineurs peuvent travailler de concert, le troisième devant perpétuellement déblayer les blocs de neige.
On creuse autant vers le haut que vers la droite ou la gauche, l'important étant d'être le plus possible debout ou assis, le dos contre la paroi du fond pour pouvoir aisément décoller les blocs de neige.

7 - Il faut néanmoins veiller à ce que les bas-flancs des différentes chambres soient de niveau. Ici aussi, on va s'aider de sondes pour bien se caler.

Assez rapidement, un quatrième mineur va pouvoir creuser à l'intérieur et puis, c'est l'instant magique où les mineurs font tomber la cloison de neige qui sépare les chambres. C'est la jonction.

8 - Ensuite, tout va très vite, on agrandit, on donne du volume, du confort on gagne de l'espace vers le haut en creusant en coupole, on creuse sur les bords de sorte que les bas-flan fassent 2 m de large sur 3 à 4 m de long.
On aplani, on lisse la voûte, les murs et on doit continuer à déblayer ces tonnes de neige.
On peut ainsi obtenir en deux heures, montre en main, des cavités de 1,80 m de haut sur 10 m de large et 2,5 m de long.

10 - Une fois que les finitions sont faites, il peut être particulièrement utile de creuser une ou des cuisines près des entrées, c'est à dire des cavités dans lesquelles on placera les réchauds et les popotes.
Au Tien shan, comme on avait beaucoup de temps, et que la congère était … himalayenne, on creusait carrément des placards pour y déposer nos affaires, des tables pour manger, des bancs, etc.. 

Bien évidemment, tout cela n'est possible que si l'on dispose de pelles métalliques. Les pelles plastiques Orthovox ne sont pas assez efficaces sauf les rouges qui peuvent être utilisées dans leur configuration pioche pour déblayer la neige.

Ce dimanche, presque tout le monde a joué le jeu.
Néanmoins, la neige était très dure et j'ai un instant douté de notre capacité à venir à bout de ce projet d'abri. Mais la motivation de tous et notamment des filles l'a emporté et en deux heures et demie, nous disposions d'un superbe abri, d'une superbe salle de 12 places où chacun pouvait s'allonger sans toucher la neige, s’assoir sans courber l'échine et même rester debout dans les couloirs.
En raison des courants d'air, nous reboucherons une entrée avec des skis,puis le soir venu, nous constituerons des portes avec les autres skis et le surf.

Nous étions ainsi parfaitement à l'abris du vent qui grandissait dehors (30 à 40 km/h) et du froid(-10 à -12°).
A l'intérieur, il faisait entre -1 et zéro sauf dans les couloirs, véritable fosse à froid où les gourdes ont fini par geler au cours de la nuit.

L'autre grand avantage ces "datchas", c'est le silence. Une fois couché, nous n'entendons plus rien si ce n'est les skis qui s'entrechoque sous l'assaut des rafales de vent.

Bien que le vent nous ait emporté deux tapis de sol, chacun a pu se protéger du froid qui vient surtout de la neige gelée des bas-flanc.
Attention, les couvertures de survie ne protègent en rien du froid : elles retiennent juste la radiation du corps humain mais aussi la transpiration.
Nathalie qui avait recouvert son duvet d'une couverture de survie s'est vite aperçue que la condensation se déposait sur le dessus de son sac de couchage.

Autre précaution indispensable, se changer, mettre des sous-vêtements secs après la construction de l'abri. On est en effet trempé et l'humidité même si elle est tiédie par le corps est un formidable vecteur de refroidissement.

Vers 20 h, nous voilà donc tous installés à l'intérieur, en s'efforçant de faire démarrer les réchauds qui avaient pris quelques blocs de neige sur le nez.



Hélène avait pourtant longuement fait fondre de la neige avant de relayer les mineurs mais, le soir venus, nous manquions encore d'eau.
Il faut, dans ce genre de raid apprendre à se rationner et avoir un estomac à toute épreuve et c'est visiblement ce qui manquait à Olivier qui était bien malade et vomissait au fond de la pièce dans une poche en plastique. Il fallait quand même pas salir notre nouvelle maison.

Après le repas, c'est la tournée des remontants : au menus ; Vodka ... de circonstance , (1 litre), Armagnac et Gin.

Vers 22h nous éteignons les dernières bougies.

Il fait toujours aussi beau malgré le vent qui forcit d'heure en heure. Il fait froid, très froid et le ciel est splendide.
La perturbation annoncée reste invisible et une très bonne nuit au fond de mon duvet s'annonce.




Lundi 16 avril : Le Mont Perdu


6 h 30.
Ma montre sonne, à la même heure que la veille.
J'ouvre un oeil, sort la tête du duvet.
Personne ne bouge. Tous les duvets sont là, immobiles, bien rangés les uns contre les autres comme des voitures neuves chez un concessionnaire automobile.
La voûte de neige est restée "sèche". Aucune goutte ne perle. Il a fait froid, même à l'intérieur et la température a du rester autour de zéro.

Dans la fosse à froid, à côté de moi, la gourde d'Hélène a gelé et mes affaires humides de la veille se sont figées.
Je les prends et les enfouis dans mon duvet pour les réchauffer un peu. Je place la gourde entre Philippe et moi. Là, elle devrait commencer à fondre.
Pour bien faire, je devrais, la plonger dans le duvet, mais essayez, vous aussi, demain matin de mettre un glaçon de deux litres dans vos draps un peu avant de vous lever, vous m'en direz des nouvelles !

Dehors, les premières lueurs de l'aube atténuent la noirceur de la nuit.
J'entends le vent qui entrechoque quelques skis.
J'ai l'impression que dehors, il fait un froid polaire et déjà que je ne suis pas du matin.....
Ca fait cinq minutes que je suis assis dans mon duvet et personne ne semble bouger. Sont-ils tous morts ???

Non, ils ont sommeil et veulent probablement se payer une grasse matinée, à 3 000 dans la neige. Et puis, si vraiment je les réveille, je crois bien qu'ils vont me croquer tout cru pour le petit déjeuner...
Déjà que certain doivent m'en vouloir de les avoir entraîné dans cette aventure !
Allez, on va s'accorder une heure de plus, le temps que le jour, lui, se lève complètement.

7 h 30
Bon, cette fois il faut y aller.
Dehors, le jour s'est maintenant levé.

Pour encourager tout le monde, je précise que sortir du duvet en bivouac, c'est le moment le plus désagréable de la journée, que ce soir, on doit aller dormir à Toulouse et que, pour y arriver, la route est longue.
Personne ne bouge !
Bon, faut que je révise mes méthodes de motivation !!!

C'est un comble ! Moi qui suis toujours le dernier à me lever, je dois, aujourd'hui, montrer l’exemple et être le premier à me peller.
Allez, un petit coup d'Armagnac pour se donner du courage et debout.
J'enfile mes deux chaussures glacées et je mets le nez dehors.

Le vent est fort et froid.
A l’intérieur, les uns, les autres commencent à s'ébrouer, tout comme les chiens d'esquimau.
On entend les duvets qui se froissent. Certains, à leur tour, se lèvent. Ils ne restent pas longtemps dehors, d'autant que le vent vient brusquement de forcir.
Les gourdes sont encore en partie figées. Je me décide à les mettre dans mon Duvet dans lequel je replonge pour déjeuner.
Alors que mon voisin se lève également, dégageant un peu de place, toujours bien au chaud dans mon duvet, j'allume le réchaud et commence à faire du thé.
Tout cela m'a bien pris une demie-heure.

Manu qui a déjà compris beaucoup de chose au confort en montagne sort l'arme
suprême du petit déj. en bivouac : le thermos plein de thé brûlant de la veille que l'on déguste en sortant juste un bras du cocon de plume.

J'aurai vraiment dû prendre le mien. Mais, c'est toujours pareil, il faut surveiller son poids ou plutôt celui de son sac. Manu a dû faire d'autres choix.

L'eau frémit. Je plonge quelques sachets et me jette goulûment sur mes "smacks" blé soufflé enrobé de miel particulièrement appétissants et surtout très pratiques à consommer car, on ne met pas de miettes dans le duvet.




Chacun s'affaire et les tournées de thé vont bon train mais cela fait déjà plus d'une heure que le second réveil a sonné. Il va falloir penser à vraiment sortir de la “datcha”.

Au programme de ce début de matinée, les 350 mètres qui nous séparent du Mont Perdu.

9 h 30

Dehors, il fait froid mais le spectacle du Mont Perdu que nous allons gravir dans l'heure nous fait oublier ces contingences sensorielles.

Le couloir a une sale tête.

Il n'y a aucune trace. Pourtant, je me rappelle y avoir vu furtivement du monde la veille.

En plus, cette année, il paraît bigrement déversé sur la barre de 70 m qui lui sert de base.

Je demande à chacun de mettre son baudrier . On ne sait jamais. En général, on a pas besoin d'encordement mais....

Peu à peu tout le monde est prêt. Nous quittons le camp, légers et alertes.

Nous sommes les premiers à s'élancer. Deux espagnols venant du refuge Goritz, à 3 heures de marche, s'étonnent de voir surgir un groupe de 12 derrière une congère.
Une petite crête de neige nous rapproche de l'entrée du couloir.
Plus nous montons, plus les dents de nos crampons sont sollicitées.
Nous nous engageons dans le couloir et très vite, cela devient exposé !

La neige est dure. Il n'y a pas l'habituelle tranchée, sécurisante.
Je devine le vide, à quelques dizaines de mètres sous moi, juste au bout de cette pente de neige, véritable billard aujourd'hui.

Je sens le stress monter.
J'arrête le groupe qui suit, derrière moi, sans trop plaisanter...

Il est temps de sortir les cordes.
Je  demande à Olivier de fixer un bout  sur un becquet qui émerge de la neige et je pars seul fixer d'autres points d'amarrages, ici sur un autre becquet, là dans une fissure avec le seul friend que j'avais bien voulu prendre.
Bout de corde !
Il me manque 5 m pour arriver à une superbe écaille.

Dessous, la pente s'est faite plus raide, plus lisse, plus glissante encore.


Mais, ce n'est pas pour moi que je stresse.

En d'autres circonstances, j'ai déjà failli me tuer dans ce couloir...

Au retour de la face nord, j'avais dévissé à la descente. Le relâchement sans doute après beaucoup de concentration.
Je me rappelle encore de cette glissade.
Il faisait chaud.
Une fine pellicule de neige fondait sous le soleil de ce début juillet
La neige bottait sous mes crampons.
Nous étions restés encordés, Philippe Cabot et moi.
J'étais le premier à descendre.

Tout à coup, sans vraiment savoir pourquoi, voilà que je glisse.
Peut-être y avait il eu trop de neige sous mes crampons ?
Est-ce que ce sont mes guêtres, un peu bouffantes qui ont attrapé mes pointes avant ?
Je n'ai pas eu le temps d'analyser tout cela !
Je me souviens du bas du couloir, du vide, de la vitesse, de l'accélération et...

....tout d'un coup, d'une brutale secousse.

Philippe Cabot  qui me tenait ferme au bout de la corde à 5 ou 6 m (c'est trop - faut rester à 3 ou 4  m maxi) avait réussi à enrayer ma chute. Il s'était couché sur son piolet, la panne bien plantée dans la neige et toutes griffes de crampons dehors.
Merci Philippe ! Tu m'as sauvé la vie. Je ne pourrais te rendre pareil service (Philippe Cabot a disparu dans un accident de voiture quelques semaines après).
Tous ceux qui t'ont connu, ont encore une pensée pour toi.

Bout de corde donc.

Olivier ou Jean-Pierre, très à l'aise, m'apporte la seconde corde.
Un noeud et je continue.
30 mètre plus loin, re bout de corde.
Je sorts une broche que j'arrive à placer sans problème dans la glace qui vient épouser la paroi.

Terminus !

Il faudrait 2 ou 300 mètres de corde supplémentaires pour sécuriser
l'itinéraire ou alors faire des cordées autonomes. Mais ça nécessite de bien maîtriser la progression en cordée sinon le médicament se transforme en poison, le filet en piège.

Je fais quelques dizaines de mètres alors que le reste du groupe, rejoint le terminus bien accroché à cette ligne de vie.

La neige se transforme peu à peu en couche de glace.

Le bas du couloir est toujours là, obsédant. Il nous appelle, nous aspire.
Derrière, le vide.

Bon, il est clair que si l'on est pas un as du maniement du piolet et si on ne réagit pas dans les trois premières secondes fatidiques..., ça va mal finir.
On ne va pas tenter le diable.
D'ailleurs, dans ce couloir, le diable n'est jamais très loin.
Un simple chuchotement et le voilà qui rapplique !

Je fais demi-tour !
Les plus alertes en crampons, Jean-Pierre, Olivier, Philippe, Georges et même Nathalie ont déjà quitté le terminus. Je les préviens que vu les conditions, tout faux pas peu être tragique.


Pour moi, la collective s'arrête au Terminus. Mais, ils se sentent bien et veulent continuer.
Soit ! Je prends les autres à témoin (mais je crois que ma démarche n’a pas été bien entendue) puis je raccompagne Nathalie au Terminus.

Le reste du groupe a déjà rebroussé chemin, bien encadré par Laurent.

Je retourne rejoindre les quatre débrouillards en crampons.

Jean-Pierre, le premier d'entre eux trouve au milieu du couloir un objet insolite, bien que courant dans ces contrées : un piolet de cascade.

Plus insolite encore, il est fermement ancré par la lame dans la neige.
C'est étonnant, on n'oublie pas ce genre d'engin en chemin, en général.

Plus on monte, plus la glace durcie.
Désormais, elle brille et des grosses goûtes figées luisent à sa surface.


Jean Pierre, Olivier et Philippe sont déjà au sommet.
Ils n'y restent pas. Le vent est violent (80, 100 km/h). Ils entament immédiatement la descente.


Georges et moi y débouchons à notre tour.


Le spectacle, comme d'habitude est grandiose et même si c'est la 7eme ou 8eme fois que j'y viens, je suis toujours aussi émerveillé par ce panorama de Canyons qui ouvrent leurs gueules béantes, que ce soit la Pinéta à l'Est ou la Niscle ou encore sous nos pieds Arazas.
On reconnaît distinctement tous les sommets de Gavarnie tous alignés et là le Cylindre et sa superbe face.
Au Nord, les Astazous,, le pic Long La Munia et plus loin la plaine et son agitation.
Quel bonheur !

Le vent qui nous transperce nous ramène à de plus humbles réalités.
En bas, des gens nous attendent, et pas seulement nos compagnons, nos familles aussi, nos amis.
C'est pour eux qu'il faut redescendre et être vigilant.

Je fais bien attention de marcher en crabe, de ne pas accrocher mon pantalon.
Les pointes de mes crampons (des "camps" en alliage légers) ont du mal à pénétrer la glace. Ils sont limites pour ces conditions.

Un petit coup d'oeil sur le bas du couloir. Les autres ont rejoint le Terminus. Georges et moi nous y hâtons lentement et sûrement.
Nous croisons deux espagnols mollement encordé à 30 mètres au moins. Je leur suggère de réduire l'encordement mais, visiblement, nous n'avons pas eu les mêmes professeurs.

Arrivé au terminus, je déséquipe avec Jean-Pierre tout en restant auto assuré avec mon "tibloc".
Très pratiques ces petites bêtes de 60 gr qui font tout : bloqueur, autobloquant, assurance mono-brin, descendeur de fortune et même décapsuleur.
Tout en déséquipant, je remarque beaucoup plus bas que la neige a été bien piétinée autour de ce qui semble être une zone d'atéro pour hélico.
Et puis, il y a tous ces espagnols montés du refuge qui ont déjà fait
demi-tour.... Bizarre

Ca y est, nous avons quitté le couloir.

Je profite d'une pente raide qui s' adoucie dans une combe pour me lâcher et me laisser partir sur le cul.
Je prends de plus en plus de vitesse, et "slaaaachchchchch", d'un même mouvement, je me retourne plante la panne de mon piolet et mes crampons.
En quelques dizaines de centimètres je stoppe net.

Croyez-moi, ça fait un bien fou de savoir qu'on peut s'arrêter avec un piolet et une paire de crampons sur une neige bien glissante et sur une pente bien raide.

Entraînez-vous, entraînez-vous, entraînez-vous ! Ca vous servira peut être un jour.

J'étais encore à divaguer sur le type de pente qui rendrait tout arrêt improbable quand je croise un groupe de skieurs français.
Pour eux, la sortie est déjà finie.
"D'ailleurs, me disent-ils après l'accident d’hier, personne du refuge de Goritz n'aurait le coeur à se risquer dans le couloir".

- Ah bon, un accident ??, dans le couloir ???

- Oui, hier  trois français sont sortis de la face Nord. Ils ont ensuite cherché à descendre le couloir à ski.
L'un d'entre eux à dévissé et entraîné l'autre dans sa glissade.
Il y a eu deux morts.

C'est triste. Terrible. Tragique.

Les rotations d'hélico de la veille, les traces de pas dans la neige, le piolet planté dans la pente..., c'était donc ça !

Arrivé au camp, nous sommes tous un peu sous le choc.
Quelqu’un me dit : si j’avais su ça avant, je n'aurai sûrement pas quitté le camp.
- Peut-être, mais aujourd'hui, en tout cas, pour ceux qui se sont arrêté au Terminus, nous n'avons pas eu besoin de la Providence, nous n'avons pas pris de risques majeurs.
Pour les quatre qui ont souhaité continuer, c'est une autre histoire mais, ils avaient l'habitude de l'alpinisme et de ces conditions.

Un autre lance : "pourvu que nos familles ne soient pas informées de cet accident, sinon, bonjour l' angoisse à Toulouse !!! Il faut vite trouver un moyen de les prévenir.”

- Il y a une radio à Tuquerouye.

Inutile de dire que l'ascension du Cylindre est devenue hors sujet.
D'ailleurs, il est midi et c'est déjà tard surtout que des surprises peuvent encore nous attendre en descendant du col du Cylindre ou de la brèche de Tuquerouye.
Un jeune nantais n'était-il pas mort de froid et d'épuisement  sous Tuquerouye trois jours avant ?

Des surprises, des contretemps, nous en aurons effectivement....


Lundi 16 avril après midi : le retour

13 h
Cela fait maintenant une heure que nous nous sommes tous regroupés au camp, ou plutôt à la grotte de neige...

Hélène, Anne, Manu et quelques autres ont pu faire fondre un peu d'eau et les gourdes sont au trois quart pleines.

Les premiers prêts commencent à arpenter le col du Cylindre.
Les derniers, dont je suis, les rejoindront 20 mn après.

Au col, le vent est violent et on se hâte tous de passer en position descente.
Le spectacle, ici aussi, est superbe.
On devine le mauvais temps en France. Des nuages passent entre le Marboré et les Astazous pour se désagréger au dessus du grand balcon de Tuquerouye. Maurice (c'est lui qui porte les skis depuis la veille) prends de l'avance.
Nous le suivront à skis.
La neige est très dure et il faut aller chercher sous la formidable paroi du Cylindre une neige fondante qui régale nos spatules.

La fatigue de ces deux jours se fait sentir. Les cuisses, dès que l'on enchaîne plusieurs virages, se transforment en bois brûlant.

Nous nous rapprochons de la barre qui défend l'accès au col du Cylindre à la côte 2710.
Plus la pente raidit, plus la neige durcit et plus nos carres sont sollicitées.

J'avance prudemment.
Une langue de neige permet de passer à ski mais le passage est très raide,
autour de 50 °, et très étroit : 3 mètres au plus.
En plus, il y a de la glace vive sur la gauche et l'approche du passage est bien défendu par des rochers que l'on devine dans la rupture de pente.
Je donne quelques conseils en cas de chute avec tout le tact qui me caractérise....
La barre n'est pas bien haute : 10 mètres au maximum, souvent moins. Si on dévisse à ski mieux vaut se laisser glisser et protéger sa tête.
L'atterrissage devrait bien se passer.


Bon, après avoir prêché le pire, passons aux choses plus opérationnelles.
Voyant visiblement que tout le monde ne pourrait passer à ski, je demande à Laurent d'installer une première corde fixe pour sécuriser l'approche puis avec Jean-Pierre, nous installons une seconde corde sur amarrage sur neige (un piolet en travers à 80 cm de profondeur).

Avant de déployer la corde dans le couloir, je propose aux plus hardis de se risquer à ski, ce que je fais en premier.

La raideur est vraiment impressionnante. Une fois engagé dans le couloir, on ne risque plus de toucher des cailloux en cas de chute. J'engage donc quelques virages qui me soulèvent l'estomac.
Ma main amont racle la pente et mes « bandits » se comportent à merveille. Qui a dit que les paraboliques ne savaient pas skier sur les pentes raides ???.

Après le décollage je dois reprendre contact avec la neige le plus souplement possible pour éviter que mes carres ne ripent. J'accompagne donc cet atterrissage longuement par un copieux dérapage.
Encore deux paires de virages et je serai sorti.

Je m'arrête un peu plus loin pour attendre les autres.
Philippe suit sans difficulté, Anne aussi, puis un ou deux autres pour qui cela devient franchement laborieux : tout en dérapage, centimètre par centimètre.

Plus personne ne se présente à ski. On jette les cordes.

Force est de constater que ceux qui ont choisi de passer en crampons, encordé avec un bloqueur ou sur le huit passent au moins aussi vite que ceux qui sont passés en dérapage à ski.
Mais un groupe de 12 à raison de 3 à 4 minutes par personne, ça fait vite trois quart d'heure.

Le temps passe vite mais le cadre est si somptueux.

Une fois regroupé, nous traversons ce grand balcon par la gauche afin de rejoindre en suivant la courbe de niveau le bas de la brèche . 80 m au-dessus trône le refuge de Tuquerouye.

La neige est maintenant si molle et collante que l'on peut aisément remonter une partie de la pente sans remettre les peaux.

Les 80 m seront vite avalés mais, à peine soulagé de ma charge, voilà qu'on appelle au bas de la pente. Manu est tombé dans un trou, une crevasse !

Je prends le premier piolet qui passe et déboule la pente; Manu est effectivement enfoncée jusqu'à la taille, retenue par le sac, dans la rimaye qui vient juste de décider de s'ouvrir et d'entamer une longue saison estivale pour « emmerder » tous les passants.

Nous nous retrouvons tous au refuge pour attendre Laurent, Jean-Pierre et Olivier qui ont déséquipé le passage de la descente.

Le refuge de Tuquerouye, l'un des plus vieux refuge des Pyrénées, l'un des plus haut aussi avec ses 2666 m vient d'être remis en état.
Il est encore propre mais le poêle et la radio sont déjà hors service.
Difficile de prévenir nos familles.

Ce refuge a une particularité étonnante. Le réfectoire est en Espagne, le dortoir en France. Vive l’Europe !.
Mais enfin, il y fait bon et le spectacle est grandiose. La face Nord du Mont Perdu avec ses glaciers et ses séracs remplissent le champs de vision.
C'est superbe.

16 h...

Il faut penser à redescendre par le couloir Nord.
Large mais assez raide (autour de 45 ° sur sa partie supérieure), il est comme pour changer particulièrement tollé, ce qui ne fait pas du tout rire Nathalie.
Heureusement, il ne présente aucun danger en cas de chute. Il fini par s'évaser et se radoucir 300 m en dessous.
Néanmoins, on comprend sans mal que certains y aient passé de mauvais moments. Une vierge est d'ailleurs installée tout en haut du couloir de façon à ce que l'on ne la perde jamais de vue. Ca peut toujours aider pour une petite prière et invoquer les dieux.

La petite troupe s'élance sous le regard étonné de quelques marcheurs espagnols qui passent la nuit au refuge.

Celui qui aura finalement le plus de difficulté, c'est peut être Olivier qui, chaussé de son surf, a du mal à s'exprimer. A chaque virage, il n'a qu'une care pour contrôler sa vitesse et celle-ci a du mal a mordre sur cette neige particulièrement dure.
Nathalie n'est pas très rassurée non plus. Elle s'est mis dans un secteur où la pente est encore plus raide et la neige plus dure. Maintenant, il faut apprendre à faire le dérapage arrière... en gardant le sourire.
Mais tout fini bien même si nos jambes ont toutes accusées le coup.

A 2430, il y a une petite épaule qui nous permet de quitter le couloir et de nous rapprocher de la hourquette de Paillat.

Devant nous, il y a une superbe trace de montée et aussi quelques traces de descente qui vont à un petit collet.
Derrière, on devine la hourquette. Il doit y avoir une longue traversée.

Je ne me rappelle pas bien de ce passage mais qu'importe, il se fait tard et la trace est déjà faite.

Encore une petite descente puis on remet les peaux.
Philipe et Hélène ont pis les devant.
Ce seront les premiers a nous annoncer la bonne nouvelle après 20 mn de remontée : on s'est gouré !!!!.
Il s'agit d'une crête infranchissable à ski.

J'enrage !.
Je me suis fait piéger. J'ai négligé de sortir la carte pour vérifier et voilà.
Il y avait bien une belle trace de montée, mais il y avait aussi des traces de descente!

Nous ne sommes pas les premiers à nous tromper et si une prochaine chute de neige n'efface pas cette autoroute, nous ne serons pas les derniers à nous fourvoyer.

Re-descente, re-mise des peaux pour certain et re-départ vers la hourquette de Paillât. Au bas mot, on a bien perdu une heure avec cette histoire....

Les plus heureux, ce sont encore Maurice et Olivier qui portent sans relâche skis et surf. Ils accusent le coup.

Nous revoilà enfin sur le bon itinéraire avec 300 m environ à remonter. Il est 18 h.

La remontée se fera calmement... Il faut garder un peu de jus pour la descente vers Gavarnie.

Philippe, Hélène et moi arrivons une heure après à la hourquette. La lumière rasante qui joue à cache-cache à travers les nuages offre un incroyable spectacle. Tout autour de nous, c'est du miel. Sur la brume, nos silhouettes se découpent, entourées qu'un arc en ciel presque totalement fermé.
Magique ! Féerique.

Nous profitons de notre avance pour faire fondre un peu de neige et préparer du thé.

C'est le ravitaillement au col.
Le groupe se rassemble un peu en retrait à l'abri du vent.

Maurice et Olivier, nos deux porteurs sont loin, très loin. Ils arriveront fourbu plus d'une demi heure après.
Un thé brûlant et les voilà en forme pour attaquer la descente qui est ...exécrable par endroit, à peine skiable à d'autres.

La croûteuse !!!. Avions-nous vraiment besoin de ça !!!

Heureusement, côté spectacle, la magie continue : le soleil couchant met le feux aux Astazous alors que, là bas, en bas, les premières lumières de la vallée s'allument à travers des écharpes violette de brume.
1300 m nous séparent encore des voitures

Olivier a chaussé son surf mais Maurice est toujours à pied. Il avance d'ailleurs fort bien.

Mais, cette fois, c'est Georges qui n'en peu plus. Il est vrai que cette croûteuse est particulièrement physique et exigeante.
Les chutes se multiplient.
Pourvu que personne ne se casse quelque chose.

Nathalie, elle aussi épuisée, préfère continuer à pied. Elle avance d'ailleurs plus vite comme cela.

La neige devient meilleure, presque bonne et nous suivons une ancienne avalanche qui va nous déposer à 1800 m sur l'herbe grasse et parfumée.
Près de trois jours que nous n'avons pas vu de "vert", bu autre chose que de l'eau de fonte!

Plus que 500 m de portage et nous serons à Gavarnie. Ca tombe bien car il est 9 h et la nuit tombe.
On sort quelques frontales et en avant.

Sur le chemin, je pense aux soucis de ceux qui sont à Toulouse et qui ont probablement eu connaissance des deux toulousain morts ce dimanche au Mont Perdu. Sans nouvelle de nous et avec la nuit qui est maintenant bien tombée sur nos têtes, l'inquiétude doit être à son comble.

En bas, dans la vallée, quelqu'un nous envoie des signaux lumineux. Sans doute les CRS ! Nous sommes repérés.


Enfin, le chemin de Gavarnie dont la couleur crème se détache dans le noir.
Un CRS vient vers nous.
Petite remontrance polie. Le téléphone de leur bureau a souvent sonné ces dernières heures et ils se sont beaucoup employés à dédramatiser.
Nous ne faisions pas partie des 4 morts du massif de ce week-end.

Les voitures sont toujours là et surprise, Alain nous accueille.
Lui n'était pas inquiet.
Il est 10 h. Il était temps d'arriver.
Après avoir rangé le matériel, nous négocions avec l'hôtelier du coin pour qu'il réouvre son bar. Il a l'habitude des cordées qui arrivent à point d'heure et qui, avant de reprendre la route, méritent bien un bon moment de détente et de remise en forme.

Ca y est, c'est fini.

Nous avons vraiment vécu quelque chose de particulier, une aventure finalement assez banale mais tellement belle !!!

Demain, il va falloir se lever et tourner la page... mais le tour de l’envers de Gavarnie restera probablement l’un de mes meilleurs souvenir … de montagne